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La chronique de Thierry Lhermitte du 17 octobre 2022

Chroniques

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19/10/2022

A l'occasion de cette nouvelle chronique France Inter, diffusée dans l'émission "Grand Bien Vous Fasse" du lundi 17 octobre 2022, notre parrain Thierry Lhermitte est allé à l’Institut de biologie du développement de Marseille pour visiter le laboratoire d’Aziz Moqrich. Chercheur au CNRS, il dirige une équipe qui étudie les mécanismes de la douleur chronique soutenue par la FRM et vient de découvrir l’effet d’une molécule antidouleur naturelle particulièrement prometteuse.



Qu'appelle-t-on la douleur chronique ?

La douleur, on l’a tous éprouvée bien sûr. Mails il y a en fait deux types de douleur.

Il y a d’abord la douleur aiguë, due à un traumatisme : celle provoquée par une brûlure, par une entorse, etc. Cette douleur aiguë, elle est indispensable, c’est notre « kit de survie », comme l’appelle Aziz Moqrich : c’est un signal d’alerte qui nous permet de nous avertir d’une lésion et d’éviter la source de danger. Cette douleur aiguë, elle est réversible et elle répond très bien aux anti-inflammatoires comme le paracétamol, l’aspirine, l’ibuprofène, etc.

La douleur chronique est une douleur qui persiste au-delà du temps de guérison : si après la cicatrisation de ma brûlure, la peau reste douloureuse, ça devient une douleur chronique. Là, de fait ce n’est plus un signal d’alarme. Selon son intensité, elle peut devenir très gênante au quotidien, et même entraîner des symptômes comme l’insomnie, la dépression, jusqu’aux idées suicidaires pour certaines personnes. La douleur chronique a donc un impact majeur sur la qualité de vie. C’est véritablement une maladie qu’il faut prendre en compte et qu’il faut pouvoir soulager.

Combien de personnes sont-elles concernées ?

Énormément ! La douleur chronique concerne une personne sur 5 dans le monde, soit plus de 1,5 milliards de personnes ! On estime globalement que la douleur est à l’origine de deux tiers des consultations médicales. Il y a de très nombreuses douleurs : les migraines, les douleurs liées à l’arthrose, jusqu’aux douleurs dues à des lésions nerveuses, qu’on appelle douleurs neuropathiques. C’est le cas par exemple dans la sclérose en plaques, la maladie de Parkinson, les névralgies après un zona, les douleurs du membre fantôme après une amputation, les douleurs neuropathiques postopératoires, etc. Parce qu’après une opération chirurgicale, c’est environ 20 % des gens qui vont avoir des douleurs chroniques. C’est donc un vrai enjeu de santé publique, avec un coût socio-économique énorme entre les consultations, les arrêts maladie, les traitements…

Et pourtant, la douleur chronique n’est pas considérée comme une maladie : si on met en relation son coût pour la société et l’investissement dans la recherche, c’est la maladie pour laquelle l’investissement est le plus faible, comparé par exemple avec les maladies cardiovasculaires ou le cancer ! Les médicaments actuels ne sont pas efficaces sur tous les types de douleurs chroniques et en plus ils ont généralement des effets secondaires très importants.

D’où l’intérêt de soutenir les recherches d’Aziz Moqrich !

En effet. Avec son équipe, il cherche à comprendre les processus de la douleur chronique dans le système nerveux. Avec l’objectif final, évidemment, de découvrir de nouvelles molécules pour la soulager. Et il vient de découvrir l’effet d’une molécule antidouleur naturelle et qui est particulièrement prometteuse !

Il faut d’abord expliquer ce qui se passe dans le système nerveux quand on ressent une douleur. En simplifiant bien sûr, car en fait c’est très complexe : quand on se pique le doigt, par exemple, il y a dans la peau des terminaisons nerveuses (appartenant à des fibres nerveuses) qu’on appelle des nocicepteurs, qui perçoivent spécifiquement cette stimulation nocive. Ces fibres nerveuses envoient l’information à la moelle épinière, qui la traite et qui transmet l’information au cerveau, qui va dire « Attention, douleur ! ». En retour il va commander un réflexe : on retire sa main. L’endroit de la piqûre va rester douloureux pendant un certain temps. C’est un phénomène physiologique qui nous permet de protéger l’endroit blessé le temps de la cicatrisation. Ensuite la sensibilité redevient normale.

Mais parfois ce n’est pas le cas, le toucher reste douloureux même si la lésion a disparu et la douleur devient chronique.

Donc en fait c’est la moelle épinière qui centralise les signaux de douleur ?

Exactement, c’est même là où tout se joue et où les processus de la chronicisation de la douleur commencent, on va le voir. Il y a des neurones clés dans la moelle épinière, qui sont appelés « neurones gate » en anglais, qu’on peut traduire par « neurones de la porte ». Ils sont indispensables pour discriminer le toucher et la douleur, car sans blessure le toucher ne doit pas être douloureux. Donc ils sont là pour bloquer l’accès des fibres du toucher à la voie de la douleur. On peut dire qu’ils « ferment » la porte de la douleur. C’est une théorie élaborée en 1965, ce n’est pas nouveau.

Mais ce qu’Aziz Moqrich a voulu comprendre, c’est comment ils fonctionnent et quels sont les mécanismes qui font que dans la douleur chronique ils sont en panne, en quelque sorte.

Et qu’est-ce que son équipe a découvert ?

Qu’il y a un certain type de fibres nerveuses, peu nombreuses, et qu’on connaissait pour favoriser la sensation de bien-être, qui servent aussi à moduler la douleur.

Ces fibres du bien-être sont peu nombreuses, mais répandues partout sur le corps (sauf là où il n’y a pas de poils). Ce sont elles qu’on sollicite par exemple quand on met les bébés prématurés en peau à peau sur leurs parents, pour les apaiser. Aziz Moqrich a donc montré qu’elles produisaient une molécule, qui s’appelle TAFA4, et qui est au cœur de la transmission des signaux de douleur.

Comment est-ce que cela fonctionne ?

TAFA4 agit directement sur les fameux neurones de la porte dans la moelle épinière, en les maintenant dans un état d’activité tonique. C’est grâce à cet état d’activité tonique que les neurones de la porte empêchent le toucher d’avoir accès à la voie de la douleur. Mais quand il y a une lésion des fibres du bien-être, la production de TAFA4 s’arrête : la porte s’ouvre et un simple toucher est perçu comme douloureux car il a maintenant accès à la voie de la douleur.

Je vous simplifie la chose, mais l’équipe a montré les mécanismes très complexes qui sont en jeu.

Ce qui est génial, c’est qu’elle a aussi montré en modèle de laboratoire que cette molécule, le TAFA4, a une action antidouleur sur tous les types de douleur chronique : inflammatoire, postopératoire ou neuropathique. Et en plus son action est beaucoup plus longue que celle des antidouleurs classiques comme les opioïdes ! Avec probablement, moins d’effets secondaires, mais c’est l’avenir qui le dira.

La dernière découverte, c’est que TAFA4 a en plus un effet cicatrisant sur les tissus lésés.

Donc c’est une molécule très prometteuse !

Oui. D’ailleurs trois brevets ont été déposés pour protéger ces résultats et une startup (Tafalgie Therapeutics) a été créée en 2020 pour les futurs développements de cette nouvelle molécule, qui appartient à une nouvelle classe d’antidouleurs.

Je voudrais aussi souligner que ce chercheur talentueux, Aziz Moqrich, a commencé sa carrière dans le laboratoire du Prix Nobel de médecine 2021, Ardem Patapoutian, lorsque celui-ci a installé son laboratoire aux Etats-Unis. Il a donc contribué aux travaux qui ont valu le Prix Nobel au Dr Patapoutian. D’ailleurs il reste très lié avec lui scientifiquement. Nous pouvons être fiers d’avoir de tels chercheurs en France !

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