A l'occasion de la campagne de mobilisation annuelle de la FRM pour la recherche sur la maladie d'Alzheimer, dont la journée mondiale est le 21 septembre, notre parrain Thierry Lhermitte a rencontré Chantal Mathis, directrice de recherche au CNRS, à la tête de l’équipe « Étude neurobiologique de la genèse des réseaux de l’apprentissage et de leur modulation » (Engram) au Laboratoire de neurosciences cognitives et adaptatives à Strasbourg. Elle poursuit un projet, soutenu par la FRM, qui porte sur la vulnérabilité particulière des femmes dans la maladie d’Alzheimer.
Est-il vrai que les femmes sont plus vulnérables que les hommes concernant la maladie d'Alzheimer ?
Thierry Lhermitte : On en parle peu, mais oui, on compte deux femmes touchées pour un homme. On a longtemps cru que c’était lié à leur plus longue espérance de vie, mais vous allez voir qu’en fait, ce n’est pas le cas, et que la maladie a probablement un impact différent chez les femmes et chez les hommes.
Avant d’aller plus loin, est-ce qu’on peut rappeler brièvement ce qu’est la maladie d’Alzheimer ?
C’est une maladie neurodégénérative, c’est-à-dire que les neurones disparaissent progressivement. C’est d’abord une maladie évolutive de la mémoire qui entraîne une démence progressive et irréversible. C’est la démence la plus fréquente, avec 35 millions de patients dans le monde : un cas apparaît toutes les 3 secondes ! Et les prévisions annoncent 3 fois plus de cas en 2050.
En France, c’est presque 1 million de personnes, et 3 millions impactées si on inclut les aidants.
Comment la maladie se manifeste-t-elle ?
Au fur et à mesure de l’évolution de la maladie, plusieurs formes de mémoire sont atteintes.
- La mémoire épisodique d’abord : c’est celle des événements du quotidien, qui permet de s’orienter, de faire des projets ;
- La mémoire spatiale est aussi affectée très tôt : s’orienter dans un environnement nouveau devient compliqué au début de la maladie, puis même dans un environnement connu ;
- La mémoire de travail, une sorte de mémoire « tampon » qui sert par exemple à faire une addition de tête ;
- Beaucoup plus tard d’autres types de mémoire sont atteints. La mémoire procédurale, celle des gestes appris (comme jouer du piano), est, par exemple, conservée très longtemps.
La maladie s’accompagne d’autres troubles : du langage, de la planification, du comportement alimentaire, du sommeil, des modifications de la personnalité, un état dépressif, une agitation (la fameuse déambulation que les aidants connaissent bien), …
La maladie est silencieuse pendant 15 à 20 ans c'est-à-dire tant que le cerveau compense la dégradation, jusqu’au moment où il n’y arrive plus et alors, les symptômes apparaissent, sous la forme des premiers troubles de la mémoire. L’évolution est différente selon les patients, mais elle mène irrémédiablement à la perte d’autonomie car on n’a, aujourd’hui, aucun traitement efficace.
Quelles sont ces lésions ?
On observe deux types de lésions :
- Les plaques amyloïdes, à l’extérieur des neurones formées d’amas d’une petite protéine, appelée A-bêta. Pour info : cette protéine existe dans le cerveau sain (elle utile à la mémoire à petite dose, mais pas à cette concentration !).
- Et d’autre part, des agrégats d’une autre protéine, appelée Tau, qui forment des enchevêtrements de fibres à l’intérieur des neurones.
À quoi est due cette maladie ?
C’est encore bien mystérieux, puisqu’on ne connaît pas vraiment encore l’origine ni les mécanismes initiaux. C’est une maladie très complexe, qui met en jeu à la fois un fond génétique et des facteurs environnementaux.
Dans 99 % des cas, la maladie apparaît spontanément, le plus souvent après 65 ans, mais dans 1 % des cas il y a des formes familiales dont l’apparition est plus précoce. Des gènes en cause ont été identifiés. Mais, globalement l’évolution est la même.
Et les facteurs de l’environnement dont vous parliez ?
Ce sont des facteurs sur lesquels on peut agir, et ça c’est intéressant !
- Des facteurs de risque d’abord : l’hypertension, le diabète, l’excès de mauvais cholestérol, ou encore les troubles du sommeil, la dépression…
- Et puis, il y a des facteurs protecteurs : un bon suivi médical (qui permet de limiter les facteurs de risque dont on vient de parler), la pratique régulière de l’exercice physique, le régime alimentaire de type méditerranéen, les activités sociales, artistiques, intellectuelles. Des choses qu’on peut tous faire ! Une grande étude finlandaise en cours a d’ailleurs commencé à le prouver.
Parlez-nous maintenant du projet de Chantal Mathis, que vous avez rencontrée.
Avec son équipe et deux autres équipes de Strasbourg associées au projet, elle travaille sur les différences entre sexes dans la maladie d’Alzheimer. On a dit qu’il y avait deux fois plus de femmes atteintes. Elle voudrait donc comprendre pourquoi le cerveau féminin est plus vulnérable face à la maladie d’Alzheimer.
Comment procède-t-elle ?
Elle travaille sur des modèles de souris originaux développés dans son laboratoire qui reproduisent assez fidèlement les lésions cérébrales qu’on voit chez les malades. Chantal Mathis est une grande spécialiste du comportement animal. Elle est diplômée en neuroscience comportementale et a développé beaucoup de procédures pour améliorer les conditions de vie et éviter le stress de ses animaux. Elle teste leur mémoire grâce à de la reconnaissance d’objets et analyse son évolution au fur et à mesure du développement de la maladie.
En plus de l’étude du comportement, l’équipe effectue un travail très pointu d’imagerie, qui montrent l’activité du cerveau, les connexions entre les différentes régions impliquées dans la mémoire, etc.
Quels sont les résultats ?
Ce projet est encore en cours, mais il y a déjà des choses très intéressantes. L’équipe a constaté une atteinte de la mémoire plus marquée chez les femelles en tout début de maladie. Toutes les analyses n’ont montré pourtant aucune différence entre sexes sur l’apparition des lésions.
L’hypothèse est donc que la « fragilité » des femelles serait due à l’interaction entre ces lésions et leurs hormones (je simplifie). Et on sait en effet que les estrogènes interviennent dans la reproduction, mais aussi dans la mémorisation. Or après la ménopause, les femmes ont une chute brutale de cette hormone… tout semble se recouper.
Les dernières données de l’équipe, encore confidentielles, pointent un mécanisme moléculaire qui expliquerait la différence entre femmes et hommes.
Et pour la suite ?
Avec ses partenaires, les objectifs de Chantal Mathis sont ambitieux. Un prototype de test chez l’humain est en cours pour transposer les observations. Les chercheurs veulent identifier des biomarqueurs adaptés au sexe, qui pourraient être utilisés dans le diagnostic précoce.
Puis, bien sûr, il s’agit de comprendre au niveau biologique ces différences entre hommes et femmes face à d’Alzheimer, ce qui pourrait permettre à la fois, d’adapter la prévention, mais aussi de développer une médecine personnalisée, spécifique aux femmes ou aux hommes.
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