Thierry Lhermitte s'est rendu au CEA à Saclay, en région parisienne, pour visiter le laboratoire de Karine Adel-Patient. Elle est directrice de recherche à l’INRAE et responsable du Laboratoire d’immuno-allergie alimentaire, rattaché à cet Institut. Elle coordonne une étude soutenue par la FRM sur la thématique santé et environnement.
Lors de cette rencontre, elle était accompagnée de Blandine de Lauzon-Guillain, elle aussi directrice de recherche à l’INRAE, au Centre de recherche en épidémiologie et statistiques, à Villejuif, et qui collabore étroitement avec elle pour cette étude.
Sur quoi Karine Adel-Patient et Blandine de Lauzon-Guillain travaillent-elles ?
Le laboratoire de Karine Adel-Patient est spécialisé dans l’évaluation et la prévention du risque d’allergies provoquées par les aliments. C’est une demande sociétale et industrielle très forte actuellement, notamment avec la végétalisation des régimes et l’arrivée sur le marché de nouveaux aliments. Quant à Blandine de Lauzon-Guillain, elle étudie avec son équipe comment l’alimentation avant et après la naissance peut influencer la santé et le développement de l’enfant et de l’adolescent. L’étude sur laquelle elles travaillent ensemble s’appelle PeriContAll. Elle vise à étudier si une association existe entre l’exposition aux contaminants alimentaires avant et après la naissance, et l’apparition d’allergies durant l’enfance.
Qu’est-ce que c’est les contaminants alimentaires ?
C’est ce qui se retrouve dans notre assiette du fait de la pollution environnementale et des méthodes de production et de transformations des aliments : ce sont des pesticides, des antibiotiques, des retardateurs de flamme, des toxines, etc. Ce sont des substances qui en général s’accumulent dans notre organisme, notamment dans les graisses, et qui peuvent traverser la barrière placentaire ou passer dans le lait maternel.
Et est-ce que vous pouvez nous rappeler ce qu’est une allergie ?
C'est une réponse immunitaire anormale et excessive contre une substance étrangère qui normalement est inoffensive et qu'on devrait tolérer. Ces substances étrangères, qui s’appellent des allergènes, sont des protéines. Ce sont des constituants naturels de notre environnement qui sont contenus dans des pollens, des acariens, des poils d’animaux, des moisissures, des piqûres d’insecte, des médicaments ou des aliments (l’arachide par exemple).
Quand ces allergènes arrivent au niveau des barrières qui nous protègent du monde extérieur (la peau, les bronches, la muqueuse intestinale), ils provoquent une réaction immunitaire inadaptée. Il y a donc différentes formes d’allergie selon la voie empruntée par l’allergène : les allergies cutanées (comme l'eczéma), les allergies alimentaires (qui touchent la bouche, l’intestin et tous les autres organes), les allergies respiratoires (qui provoquent notamment l’asthme et la rhinite allergique), etc. Les réactions les plus sévères peuvent être fatales, on a tous entendu parler du choc anaphylactique, qui provoque une asphyxie et un arrêt cardiorespiratoire. Il doit être traité immédiatement par une injection d’épinéphrine. Il faut rappeler d’ailleurs qu’il ne faut pas hésiter à y recourir en cas de doute, cette injection n’est pas dangereuse, elle n’a aucun effet secondaire.
On a l’impression que beaucoup de gens sont allergiques, est-ce justifié ?
En effet, car l’allergie est devenue un vrai problème de santé publique· Le nombre de cas est en constante augmentation depuis les années 1970. Elle concerne aujourd’hui 30 % de la population et on estime qu’en 2050 ce sera la moitié des gens qui seront touchés !
Rien que pour l’asthme, qui est dans 80% des cas d’origine allergique, c’est 4 millions de personnes et 1 000 décès par an en France. 10 % des enfants sont touchés, c’est la première cause d’absentéisme scolaire. Donc qu’elles soient respiratoires, alimentaires ou autres, l’allergie a un fort impact sur la qualité de vie ; et ça chez les enfants comme chez les adultes.
Est-ce qu’on en connaît les mécanismes ?
Oui, c’est dû au système immunitaire, qui réagit comme si l’allergène était un agresseur, représentait un danger. Ça se passe en deux phases : d’abord la sensibilisation, à la première rencontre avec l’allergène. Le système immunitaire « s’arme » en quelque sorte ; La seconde phase est le déclenchement de l’allergie, au moment de la deuxième rencontre avec l’allergène. Il y a alors une cascade de réactions qui conduisent à un emballement du système immunitaire. On peut développer des allergies croisées, par exemple quand on est allergique au pollen de bouleau. Comme il contient une protéine très proche d’une protéine contenue dans la pomme, on peut aussi déclencher une réaction allergique lorsqu’on consomme de la pomme, c’est assez fréquent.
Pourquoi certaines personnes sont-elles allergiques et d’autres pas ?
Comme souvent, il y a une part de prédisposition génétique et une part d’environnement. Si vous êtes dans une famille d’allergiques, il y a de grandes chances que vous le deveniez aussi. On parle de « terrain atopique ».
Dans ce contexte, en quoi consiste le projet PeriContAll coordonné par Karine Adel-Patient ?
L’idée, c’est de déterminer si les contaminants présents dans l’alimentation de la mère pendant la grossesse, puis dans l’alimentation du bébé, peuvent favoriser la survenue d'allergies chez l’enfant. Pour cela, deux cohortes vont être étudiées. Une cohorte, c’est un groupe d’individus suivis sur le long terme. La première cohorte s’appelle EDEN : elle a inclus 2 000 femmes enceintes en France entre 2003 et 2006, et qui par la suite ont été suivies avec leur bébé. Ça fait donc 18 ans de suivi avec de très nombreuses données : l’alimentation de la mère et de l’enfant, le poids, la taille de l’enfant, sa santé, son développement… · La seconde cohorte s’appelle ELFE : elle est plus récente et a inclus 18 000 enfants nés en France en 2011 dans 350 maternités. Ils sont suivis depuis avec un recueil de différentes données autour de leur alimentation, de leur santé, de leur développement, de leur socialisation…
Que vont faire les chercheurs pour mener leur projet sur les allergies ?
L’équipe a d’abord évalué quelles étaient les expositions auxquelles les femmes et les enfants étaient soumis via leur alimentation. Cette étude épidémiologique (qui n’est que théorique) montre que les femmes enceintes et les bébés sont tous potentiellement exposés à quelque 200 contaminants, en mélanges. L'objectif est maintenant de détecter les contaminants présents dans le méconium (les premières selles du nouveau-né) et dans le lait maternel, qui ont été recueillis dans les cohortes. Pourquoi ? Car le méconium reflète l'exposition prénatale à ces contaminants et le lait maternel à l'exposition des premières semaines : des fenêtres d’exposition très sensibles et pouvant impacter la santé future de l’enfant.
Pour ça, l’équipe analyse toutes les petites molécules présentes dans les échantillons recueillis. C’est une technique très complexe, qui a demandé 3 ans de mise au point sur des équipements de pointe. Il faut aussi des compétences en bio-informatique, car il y a toute une partie de modélisation des composés et de fouille de dizaines de milliers de données· Ensuite l’équipe fera le lien entre les contaminants détectés et la survenue des allergies chez les enfants· Et, enfin, elle recherchera les mécanismes en jeu.
Cette étude promet des résultats très intéressants !
Oui, il y a beaucoup d’attendus, notamment en termes de recommandations de santé publique. · La force de ce projet, c’est son envergure, le soutien de partenaires comme la Fondation BNP Paribas et la FRM, mais il y a aussi les familles qui participent aux cohortes EDEN et ELFE depuis des années et sans lesquelles ces travaux ne pourraient avoir lieu. Les chercheurs tiennent ici à les remercier.
Crédit photo : Radio France / Christophe Abramowitz
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