Thierry Lhermitte est parrain de la Fondation pour la Recherche Médicale. Une fois par mois, il intervient sur les ondes de France Inter pour évoquer un projet scientifique.
Thierry a rencontré Mathias Pessiglione, chercheur à l’Inserm et coresponsable de l’équipe "Motivation, cerveau et comportement" à l’Institut du Cerveau et de la Moelle, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, dont les travaux sont soutenus par la Fondation pour la Recherche Médicale. Et l’un des volets concerne les troubles bipolaires. Mathias Pessiglione est spécialisé dans les neurosciences et il est également psychologue clinicien. Mais il y a aussi des physiciens, des mathématiciens-informaticiens, des médecins psychiatres, des neurologues ou des économistes.
L’équipe étudie les mécanismes de la motivation. Et pour ça, elle s’appuie sur un tas de disciplines différentes.
Quel est le but de ces chercheurs ?
C’est de comprendre quels sont les circuits impliqués dans le cerveau quand on prend une décision : qu’est-ce qui nous motive ou au contraire freine notre motivation ? En effet, dans de nombreuses maladies, il y a un trouble de la motivation (ça s’appelle aussi l’apathie). Je vous présente d’abord le principe de leur approche et après on verra comment ça s’applique à cette maladie.
Comment fait-on pour étudier scientifiquement la motivation ?
Tout part de la théorie de la décision, qui dit que la valeur qu’on attribue à un objectif, c’est le bénéfice qu’on va en retirer moins le coût nécessaire pour y parvenir.
Ça détermine en fait notre motivation à atteindre cet objectif, c’est assez intuitif.
À chacune de nos décisions, le cerveau fait cette opération : il calcule le prix maximum qu’on est prêt à payer pour atteindre notre but.
Il prend en compte le poids de la récompense, l’effort à fournir, le délai pour y parvenir, etc.
- Exemple
L’équipe crée des modèles mathématiques pour reproduire les paramètres qui influencent nos choix. Je ne vous cache pas que c’est assez compliqué !
Comment on fait pour évaluer la motivation de quelqu’un, d’un patient ?
Classiquement on utilise des échelles cliniques : c’est un questionnaire du type : êtes-vous motivés ? Est-ce que vous faites beaucoup d’efforts pour faire les choses ? Est-ce qu’il y a des choses qui vous intéressent ?
Avec un score final qui définit le niveau de motivation.
Le problème, c’est que ces échelles cliniques ne marchent pas très bien. Elles dépendent de l’état mental du sujet, de sa capacité d’introspection, qui d’ailleurs est souvent altérée dans ces maladies.
Et en plus elles ne permettent pas de distinguer les circuits cérébraux impliqués : est-ce que c’est la récompense ou l’effort qui est en cause, etc.
L’idée : mettre au point des tests de comportement pour analyser les mécanismes de la décision
Ces tests sont très variés, ça peut être par exemple des questions du type « Préférez-vous avoir 10 € maintenant ou 11 € demain ? » Ou bien le sujet doit serrer une pince pour obtenir une récompense et serrer plus fort pour obtenir une récompense plus importante.
En parallèle, un modèle mathématique est mis au point pour reproduire précisément le comportement de chaque sujet.
Pour faire le lien avec ce qui se passe dans le cerveau, l’équipe a observé avec l’IRM quelles sont les zones cérébrales qui s’activent pendant qu’il fait ses choix.
Conclusion ?
Et bien c’est génial ! Les chercheurs sont parvenus à expliquer ce qui se passe dans notre cerveau quand on a un choix à faire :
- La valeur brute de l’objectif est estimée dans une région du cerveau (le striatum) et le coût de l’effort à produire est évalué dans une autre région (l’insula). Une troisième région (le Palidum) calcule la valeur nette du but à atteindre, c’est-à-dire la valeur brute moins le coût de l’effort.
- En fonction de cette valeur, un message est envoyé à la région motrice qui pilote alors les mouvements avec l’énergie nécessaire pour atteindre le but.
- En retour, les informations en provenance des muscles remontent jusqu’aux régions qui calculent le coût de l’effort et la boucle recommence, corrigée avec ces nouvelles informations.
Qu’est-ce qui permet de calculer les valeurs de l’objectif, le coût de l’effort ?
Là, ce sont des molécules chimiques, les neuromédiateurs, qui entrent en jeu. Des molécules qui permettent aux neurones de communiquer, comme la dopamine ou la sérotonine.
L’équipe de Mathias Pessiglione a montré que la dopamine intervient dans la valeur attribuée au but. La sérotonine, elle, intervient plutôt dans l’évaluation de l’effort nécessaire.
L’autre intérêt des résultats de l’équipe, c’est que le modèle mathématique mis au point reproduit très bien le comportement du sujet. Et, surtout, il permet d’identifier dans le cerveau ce qui fonctionne mal dans le circuit décisionnel.
Du coup on peut faire le lien avec les traitements ?
Oui, car quand on sait ce qui dysfonctionne, on peut traiter de manière plus ciblée.
Selon que c’est l’évaluation de la récompense ou le cout de l’effort qui est altéré, on peut adapter le traitement.
Dans la dépression par exemple on renforce l’efficacité de la sérotonine, qui va diminuer la sensation d’effort à fournir.
Quel lien avec les troubles bipolaires ?
D’abord, il faut savoir que c’est une maladie psychiatrique assez fréquente, qui touche de 1 à 2,5 % de la population. Elle se manifeste par des troubles de l’humeur, avec une alternance entre des périodes maniaques, d’exaltation, et des épisodes dépressifs, qui peuvent durer plusieurs mois. Il y a des intervalles plus ou moins long où l’humeur revient à la normale.
En liaison avec ce qu’on vient de dire.
Pendant les périodes maniaques, les couts des décisions sont sous-évalués alors que la valeur des récompenses est surévaluée. Et l’inverse bien sûr, pendant les périodes dépressives.
Le problème : c’est la prédiction de l’arrivée des troubles, que le malade ne ressent pas forcément.
Avec un traitement assez difficile.
En quoi les travaux de Mathias Pessiglione peuvent aider ?
L’équipe a mis au point un test basé sur des choix, comme précédemment.
Le modèle mathématique a été adapté pour prendre en compte le niveau de l’humeur du sujet. Car, on le sait bien, l’humeur joue sur nos choix !
Les résultats préliminaires sont très encourageants : le modèle détecterait des instabilités de l’humeur qui prédisent un basculement vers un épisode maniaque ou dépressif.
Des essais vont commencer et ils pourraient mener à une meilleure prise en charge des malades.
Crédit photo : Radio France / Christophe Abramowitz
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